Vera Molnar - Sainte-Victoire Border Line
Le motif de la montagne Sainte-Victoire, si chère à Cézanne, occupe dans l’œuvre de Véra Molnar une place singulière.
Élève aux Beaux-arts de Budapest, j’ai rencontré une montagne extravagante, omniprésente sur certaines peintures de Cézanne : la Sainte-Victoire. Ravie, je l’ai localisé sur la carte de France et j’ai décidé de m’y installer un jour.
Le temps a passé et j’ai oublié la montagne Sainte-Victoire. Quelques quarante ans plus tard, peintre non-figuratif, d’obédience géométrique, un peu fatiguée de la manipulation des cercles, d’ellipses et autres hyperboles, je m’intéressais aux courbes de Gauss. J’injectais à cette cloche, trop symétrique à mon goût, un peu de désordre, des irrégularités par-ci par-là, au hasard, combinant ordre et désordre.
Puis un jour, lors d’une exposition à Aix, je me suis trouvé face à la Sainte-Victoire, face à « ma » courbe de Gauss, flanquée de perturbations en x et en y, exactement comme je l’imaginais. N’ayant sur le moment aucun instrument à dessiner à ma disposition, j’ai bâclé, en vitesse, quelques déchirures rudimentaires, recollées ensuite, pour fixer l’idée.
Plus tard, j’ai commencé à étudier « sérieusement » cette courbe métamorphosée en montagne (ou cette montagne transcrite en courbe ?).
Le profil de base a été déterminé par une succession de 28 points relevés d’un tableau de Cézanne (Sainte-Victoire, 1905, Musée d’Art moderne occidental, Moscou). Les points, déplacés au hasard en x et y, étaient reliés entre eux par un trait. Ce genre de recherche se prête à merveille au savoir-faire d’un ordinateur.
Le résultat de ce procédé a été une suite de gravures, réalisées sur imprimante à laser, où le nombre des itérations – des profils – allaient en augmentant de 1 à 2048 de feuille en feuille (Variations Sainte-Victoire, 1996).
Une telle densité de lignes, un tel écheveau fou et irréalisable à la main. On peut en rêver, l’ordinateur peut le calculer, l’imprimante le graver : ici liberté et rigueur se complètent. Elles ne sont pas inconciliables, à mon plus grand bonheur.
L’étape suivante (Sainte-Victoire Blues/1, 1997) fut reprise des toutes premières déchirures. En les « revisitant », je voulais m‘éloigner le plus possible de la démarche rigoureuse exigée par le travail à l’ordinateur. De manière libre et incontrôlée, j’ai déchiré 20 feuilles de papiers de bleus différents, sans regarder ce que je faisais mais en fixant du regard la reproduction de Cézanne, celle qui servait de base pour les variations à l’ordinateur. Les feuilles déchirées étaient recollées ensuite en ménageant une petite fente, un interstice infime pour faire émerger le profil de la montagne.
La montagne ne m’a toujours pas lâchée, j’ai repris le travail récemment. Ce sont des variations qui sont conçues, cette fois-ci, à partir d’une seule ligne qui court de gauche à droite, retourne sans interruption à gauche, rebrousse chemin vers la droite et recommence le parcours avec obstination.
Faites d’abord à la main, au crayon et à l’encre, ces variations sont ensuite élaborées à l’ordinateur, puis imprimées. Le nombre des va-et-vient augmente de feuille en feuille de 2 à 32. L’épaisseur du trait grossit, lui aussi, d’un dessin à l’autre.
Pour en finir avec les montagnes, j’aimerais reprendre la couleur bleue et réaliser une version où le profil émergera à partir de courts segments horizontaux…
Fiche technique
- Format
- 150 x 50 cm
- Tirage
- 8 exemplaires + 2 EA
- Justification
- Numérotés avec certificat signé par l’artiste
- Technique
- Impression pigmentaire sur papier Canson 310g
- Année de parution
- 2018
Molnár (Vera)
1924 Naissance, le 5 janvier, de Vera Gács à Budapest (Hongrie).
1942-1947 Études de peinture, histoire de l’art et esthétique à l’École des beaux-arts de Budapest, aux côtés de Ferenc [François] Molnar, Judit Reigl, Marta Pan, Simon Hantaï ; diplôme de professeur d’histoire de l’art et d’esthétique.
1952 Participation à une première exposition collective à la galerie Bourlaouën, Nantes.
1957 Rencontre de Jesús Rafael Soto et François Morellet.
1960 Participe à l’exposition collective Konkrete Kunst organisée par Max Bill à Zurich ; devient membre du Centre de recherche d’art visuel (CRAV).
1967 Cofondatrice du groupe Art et informatique à l’Institut d’esthétique et des sciences de l’art, à Paris.
1968 Premiers travaux réalisés avec l’aide d’un ordinateur ; voyage aux États-Unis.
1973 Participation à la première exposition internationale d’art numérique à Paris.
1974 Mise au point, avec François Molnar, du programme numérique MolnArt.
1975 Devient membre de l’Atelier de recherches techniques avancées (ARTA), Centre Pompidou, Paris.
1976 Première exposition personnelle à la Gallery Polytechnic of Central London, Londres.
1979 Première exposition personnelle en France à l’Atelier de recherche esthétique, Caen.
1980 Publication du premier « livrimage », Un pour cent de désordre.
1985-1990 Enseigne à l’UER Arts plastiques et Sciences de l’art, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne.
1990 Première installation, Hommage à Dürer, Stiftung für Konkrete Kunst, Reutlingen.
1993 Décès de François Molnar ; exposition avec Gottfried Honegger, La Quadrature de l’art, Cloître du CRDP Poitou-Charentes, Poitiers.
1999 Exposition monographique au Crédac, Ivry-sur-Seine.
2001 Exposition monographique au musée de Grenoble.
2004 Exposition rétrospective au Wilhelm-Hack-Museum, à Ludwigshafen.
2006 Exposition rétrospective à la Kunsthalle de Brême.
2009 Participation à l’exposition collective Les Pionniers du numérique, Victoria and Albert Museum, Londres.
2010 Participation à l’exposition collective On Line: Drawing Through the Twentieth Century au MoMA, New York.
2012 Exposition rétrospective au musée des Beaux-Arts de Rouen et au Centre d’art contemporain de Saint-Pierre-de-Varengeville.
2013 Participation à l’exposition collective Dynamo (avec Agam, Calder, Cruz-Diez, Kapoor, Le Parc, Morellet, Soto) au Grand Palais, Paris.
2017 Participation à l’exposition collective Thinking Machines, Art and Design in the Computer Age, 1959-1989 au MoMA, New York.
2018 Prix d’honneur AWARE ; exposition monographique au musée des Beaux-Arts de Caen.
2019 Exposition « Code and Algorithm. Hommage à Véra Molnar » au musée Vasarely de Budapest.
2020 Exposition « Disorder in Order » organisée au Kiscelli Múzeum de Budapest.
2021 Exposition « Pas froid aux yeux » a lieu à l’Espace de l’Art Concret de Mouans-Sartoux, puis au musée des Beaux-Arts de Rennes ; exposition « Elles font l’abstraction » au Centre George Pompidou de Paris présente des travaux de Véra Molnar.
2022 Exposition collective « The Milk of Dreams » dans le cadre de la 59e Biennale de Venise ; premier NFT « 2% de désordre en coopération »
2023 Exposition « Code: Art Enters the Computer Age » au Los Angeles County Museum of Art ; festival « Moviment », exposition des journaux intimes au Centre Georges Pompidou de Paris ; lancement de la série NFT « Thème et variations »
Décembre 2023 Décès de l'artiste à Paris
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